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Moules d’eau douce : les relocaliser pour les protéger

01 août 2022

Un biologiste aquatique explique comment lui et son équipe font l’inventaire et la relocalisation de certaines espèces protégées.

Par Joe Keene

Je plonge ma truelle dans l’eau. Autour de moi, mes coéquipiers en combinaison isotherme se promènent dans l’eau, à la recherche de moules. Nous les recueillons pour les identifier, les mesurer, les marquer et les relocaliser. De loin, on dirait une équipe qui effectue des fouilles archéologiques sous-marines.

J’ai toujours aimé le travail à l’extérieur. Biologiste aquatique, j’ai acquis une grande expérience des milieux marins et d’eau douce. Ayant passé des années à étudier les moules, j’ai participé à de nombreux projets susceptibles d’avoir une incidence sur des espèces indigènes en péril de moules d’eau douce en Ontario, ma province natale.

Votre projet nécessite-t-il de procéder à un relevé ou de mettre en place un programme pour les moules d’eau douce? Certaines espèces sont protégées. Si les lois fédérales ou provinciales à cet effet ne sont pas respectées, votre équipe pourrait faire face à des retards de projet, à des amendes ou même à des peines d’emprisonnement. 

Si l’équipe de projet est incapable de distinguer une espèce commune d’une espèce menacée, elle risque de contrevenir aux lois fédérales et provinciales relatives aux espèces en péril.

Les programmes mis en place par les autorités provinciales et fédérales visent à protéger les moules d’eau douce. Voici quelques informations importantes concernant ces petits organismes fascinants.

Qu’est-ce que les moules d’eau douce et à quoi servent-elles?

La plupart des gens savent que les moules ressemblent aux huîtres et qu’elles font partie de la chaîne alimentaire (les moules d’eau de mer sont celles que nous consommons). Vivant en eau douce ou en eau salée, les moules sont des mollusques bivalves dotés d’un corps mou et d’une paire de coquilles.

Les moules sont des animaux sédentaires. Par conséquent, si elles ne sont pas déplacées pour permettre la réalisation d’un projet, elles finiront probablement écrasées. Ou s’il est nécessaire d’assécher un site avant le début des travaux, elles se déshydrateront.

Les moules vivent au fond des lacs et des cours d’eau. Elles aspirent l’eau, en absorbent les nutriments dont elles ont besoin et en suppriment les bactéries. Ce sont des animaux filtreurs : les moules améliorent la qualité de l’eau au bénéfice des humains, des poissons et des animaux. Généralement, une grande quantité de moules aide à maintenir l’eau propre. Les moules peuvent aussi produire des perles, et elles ont déjà été pêchées pour servir à la fabrication de boutons.

Il y a près de 300 espèces de moules en Amérique du Nord, dont environ 70 % d’entre elles sont en voie de disparition, menacées ou préoccupantes. Le sud de l’Ontario est jugé comme une zone sensible pour les moules menacées au Canada, principalement parce que cette région trace la limite nord de leur aire de distribution.

À la plage Britannia située à Ottawa, des professionnels ont déplacé les moules dans le cadre d’un permis de la Loi sur les espèces en péril. Selon l’aire d’étude, cette relocalisation est l’une des plus importantes réalisées au Canada.

Quels projets nécessitent d’effectuer des relevés ou la relocalisation de moules d’eau douce?

Mon équipe a réalisé de nombreux relevés pour la détection et la relocalisation des moules dans le cadre de projets dans les secteurs du transport, du pétrole et du gaz, de l’eau potable et des eaux usées, parce que des travaux étaient nécessaires dans un cours d’eau ou un lac. Travaillez-vous à planifier l’élargissement d’un pont ou la construction d’un pipeline? Votre projet nécessite-t-il le dragage d’une plage? Si des activités de perturbation des sédiments – susceptibles de contenir des moules – sont prévues, vous devez vous assurer de respecter les lois en vigueur.

Toute activité risquant de perturber ou de détruire l’habitat de moules d’eau douce peut commander d’effectuer le relevé ou une relocalisation des moules. Les lois à cet effet varient selon les pays et les régions. Au Canada, les projets nécessitant des travaux en zone riveraine ou littorale d’un cours d’eau ou d’un lac doivent respecter la Loi sur les pêches et la Loi sur les espèces en péril, dont la responsabilité de l’application incombe à Pêches et Océans Canada. En Ontario, nous aidons les clients à respecter la Loi sur les espèces en voie de disparition, promulguée par le ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs. Les contrevenants peuvent se voir imposer des amendes, des peines d’emprisonnement ou des retards dans les projets.

En quoi consistent les relevés et les relocalisations?

En termes simples, un relevé initial consiste en une visite de site effectuée par un expert qui possède les connaissances nécessaires pour savoir quoi chercher dans l’eau. L’expert aura généralement une idée des espèces possiblement présentes dans la zone d’étude et de la nature adéquate ou non de l’habitat pour les moules. Un projet nécessite la réalisation d’un relevé si les autorités fédérales et provinciales n’ont pas d’informations sur la population de moules sur un site ou si des données existantes indiquent que des espèces menacées risquent d’y être présentes.

Un programme de relocalisation de moules vise à recueillir et à relocaliser des moules juvéniles et adultes – y compris d’espèces non menacées – de la zone potentiellement perturbée par les travaux. Les moules relocalisées sont mesurées (longueur, hauteur et largeur) et les données, conservées. 

Près de 300 espèces de moules vivent en Amérique du Nord, dont environ 70 % d’entre elles sont en voie de disparition, menacées ou préoccupantes.

La relocalisation des moules commande de trouver un habitat similaire à celui du site du projet. Souvent, le site de relocalisation se situe à une courte distance en amont. La zone d’étude est délimitée et l’équipe l’arpente méthodiquement à la recherche de moules. Dans une eau claire, il est facile de trouver et de sortir les moules de l’eau (elles sont souvent enfouies partiellement au fond de l’eau). En eau trouble, on doit parfois se servir d’une boîte avec écran translucide (Lucite) que l’on appuie et pousse sur les sédiments pour aider à repérer les moules. Des truelles, des passoires et des plateaux servent à recueillir les moules qui sont placées dans des seaux pour les garder au frais et préserver leur état de santé.

Les moules sont marquées d’un numéro unique pour pouvoir faire un suivi et évaluer si la relocalisation a bien fonctionné. Dans le cadre d’un programme de suivi post-relocalisation, nous mesurons de nouveau les moules après une année ou deux pour vérifier leur état de santé et leur croissance.

Dans certains projets de relocalisation, des émetteurs sont collés aux moules pour en faire le suivi par réception radio. Dans d’autres, quand les zones de relocalisation sont petites, des piquets de tente sont plantés dans les sédiments. Le suivi se fait à l’aide d’un GPS qui permet de localiser les piquets et les moules à proximité.  

Techniques en eau profonde et peu profonde

La relocalisation des moules peut se faire de deux façons, selon la profondeur de l’eau. Dans le cas d’une eau peu profonde, il est possible d’utiliser une technique de collecte à l’aveugle par le toucher appelée « raccooning », soit le tamisage du gravier et des sédiments plus fins entre les doigts, à l’aide d’une truelle ou d’une boîte avec écran translucide et d’une pelle de prélèvement à long manche.

Lorsque la profondeur excède un mètre, des biologistes plongeurs réalisent le travail. La collecte se déroule de la même manière qu’en eau peu profonde, sauf que les plongeurs sont munis d’une source d’air pour pouvoir fouiller les sédiments situés plus profondément. 

Pour déplacer les moules, il faut trouver un habitat similaire – généralement en amont et à courte distance du site de collecte.

L’importance de travailler avec les experts adéquats et au moment opportun

La relocalisation des moules d’eau douce est tributaire du calendrier. En Ontario, les relocalisations s’effectuent à des moments particuliers de l’année. Qui voudrait reporter son projet d’un an pour avoir manqué la période propice à la relocalisation? Personne.

Quand l’eau est tiède, les moules ont une meilleure chance de bien s’enfouir dans les sédiments avant l’arrivée de l’hiver. Leur capacité de s’enfouir est accrue quand la température de l’eau est supérieure à 16 degrés Celsius. Ainsi en Ontario, la relocalisation des moules s’effectue généralement entre le début de juin et la fin de septembre. Dans d’autres régions, la période propice sera plus ou moins longue selon les températures de l’eau.

Autre point important, il est primordial de travailler avec un expert qui connaît la biologie de ces organismes. Pour la plupart des profanes, les moules se ressemblent toutes, et certains pourraient même confondre une moule et une roche. Aussi, les moules doivent être placées d’une manière particulière pour pouvoir respirer. Si l’équipe de projet est incapable de distinguer une espèce commune d’une espèce menacée, elle risque de contrevenir aux lois fédérales et provinciales relatives aux espèces en péril. L’identification, la mesure, le marquage et la relocalisation des moules sont des activités qui doivent être réalisées par un expert doté d’une formation spécialisée.

Archéologie aquatique

Le travail de mon équipe est similaire à de l’archéologie aquatique. J’ai travaillé avec plusieurs espèces de moules dans ma carrière, dont l’obovarie olivâtre, la strophite ondulé, la lampsile siliquoïde, l’alasmidonte rugueuse et l’obliquaire à trois cornes. J’ai participé à des projets enrichissants, dont un projet de dragage d’une plage pour lequel nous avons procédé à la relocalisation de plus de 43 000 moules, un des projets les plus importants relativement au nombre de moules relocalisées en Ontario. C’est une grande fierté de soutenir nos clients dans leurs projets tout en protégeant ces fascinants organismes.

Traduction du blogue publié originalement sur le site Ideas de Stantec.

À propos de l’auteur :

Biologiste spécialisé dans les invertébrés benthiques, Joe Keene possède plus de 20 ans d’expérience en relevés, relocalisations et évaluations d’impacts environnementaux. Il a mis sur pied et dirige le laboratoire d’écologie benthique de Stantec.

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