Skip to main content
Start of main content

La stratégie de décarbonation des bâtiments doit se faire en amont de l’électrification

04 janvier 2024

Deux experts en développement durable abordent le rôle de l’électrification dans la décarbonation des bâtiments et la conception carboneutre

Par Beth Tomlinson et Antonino Lagana

La décarbonation des bâtiments est essentielle à la lutte contre les changements climatiques. Chez Stantec, deux experts en développement durable, Beth Tomlinson, leader de discipline, Carboneutralité et changements climatiques – Bâtiments, et Antonino Lagana, qui se spécialise dans l’ingénierie des bâtiments écoénergétiques, parlent du rôle de l’électrification dans la décarbonation des bâtiments.

Avec John Dugan, rédacteur de la publication Design Quarterly de Stantec, Beth et Antonio ont discuté d’avenir et de conception.

De nos jours, en ce qui concerne la stratégie de décarbonation des bâtiments, on parle beaucoup de l’importance de l’électrification des bâtiments. Est-ce une bonne approche pour atteindre la carboneutralité et la décarbonation?

Beth Tomlinson : Lorsqu’il est question de la première étape vers la décarbonation, bien des gens évoquent l’électrification parce qu’elle semble être une solution facile pour atteindre les objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et de lutte contre des changements climatiques. Mais, il ne s’agit pas de la première étape. L’efficacité énergétique est au premier plan, qu’il s’agisse de conception de bâtiments hautement performants ou de rénovations majeures du parc immobilier existant. Et lorsqu’il est question de rénovations majeures, je ne parle pas d’une simple modernisation de l’éclairage. Il s’agit plutôt de concevoir une nouvelle enveloppe du bâtiment ou de la modifier pour en améliorer la performance afin d’éviter les demandes énergivores en chauffage et en refroidissement.

Place du Portage, Phase III à Gatineau, Québec. Stantec a fourni des services en mécanique, électricité et structure du bâtiment. (Coentreprise : Stantec/BPA/Provencher Roy/Perkins&Will/Two Row Architects)

Nous commençons par améliorer l’enveloppe du bâtiment. Puis, nous évaluons les besoins énergétiques des systèmes mécaniques, électriques et de plomberie. L’électrification n’est pas le seul moyen de décarboner un bâtiment. L’industrie du bâtiment s’est engagée à éliminer les émissions de gaz à effet de serre. Cet objectif nécessite des solutions commerciales et des politiques créatives et innovantes. C’est ce message que nous devons privilégier.

Antonino Lagana : Je suis d’accord. La première étape est l’efficacité énergétique, ou une rénovation énergétique majeure. L’idée est qu’un bâtiment consomme l’énergie de manière efficace. C’est le dénominateur commun de tous les domaines en lien avec l’énergie. J’ai réalisé des projets de grands et de petits bâtiments carboneutres. Et j’ai électrifié autant qu’il est possible de le faire. J’ai réduit les pointes de consommation grâce à des carburants de remplacement carboneutres et au stockage d’énergie. Actuellement, dans bien des endroits, le réseau électrique ne peut pas fournir suffisamment d’énergie pour électrifier complètement un bâtiment ou une collectivité. Il est donc nécessaire de compter sur des carburants de remplacement carboneutres, comme le gaz naturel renouvelable.

Parlons de la réduction des pointes de consommation. La facture d’électricité d’un bâtiment tient compte de la consommation réelle d’énergie (kilowattheures) et des appels de puissance (kilowatts). La puissance à facturer est fonction de la demande de pointe mensuelle. L’objectif est donc de diminuer cette pointe.

Il est possible d’éviter les pointes à l’aide du stockage d’énergie thermique, méthode utilisée pour la Place du Portage, un grand projet fédéral que nous réalisons au Québec. Une autre solution consiste à utiliser des carburants tels que le gaz naturel renouvelable, comme nous l’avons recommandé pour le stationnement souterrain de la Place du Portage. Nous ne pouvons pas électrifier le système de chauffage du garage parce que cela nécessiterait trop d’énergie et que son utilisation est sporadique.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste une conception carboneutre?

Antonino : Pour rendre un bâtiment efficace sur le plan énergétique, nous évoquons la notion de « conception carboneutre ». Pourquoi? Certains pensent que pour rendre un bâtiment carboneutre, il suffit d’installer suffisamment de panneaux solaires ou d’éoliennes sur une propriété pour fournir toute l’énergie nécessaire. Mais les énergies éolienne et solaire sont trop variables et les installations prennent de l’espace. Le stockage de l’énergie ainsi produite dans des batteries au-delà de six à huit heures entraîne souvent des coûts prohibitifs. De plus, les batteries doivent être entretenues.

En réalité, il est possible de construire des bâtiments carboneutres à grande échelle lorsque les entreprises de services publics d’électricité fournissent une énergie propre à un prix abordable. Au Québec, où je vis, nous disposons d’un « scénario idéal » avec de l’énergie propre provenant du réseau, de l’électricité à bas prix provenant de l’hydroélectricité et du gaz naturel renouvelable à un prix abordable. Le gaz renouvelable provient des collectes municipales des matières organiques, des sites d’enfouissement existants et des déchets agricoles. Ce méthane est injecté dans le réseau de gaz naturel. Le Québec a fait de grands progrès en matière d’électrification et de gaz renouvelable. Beaucoup d’éléments dépendent du réseau, c’est pourquoi nous devons parler de la conception de bâtiments carboneutres.

Le 303, rue Battery à Seattle, Washington. Dans le cadre de ce projet, Stantec a fourni des services en mécanique du bâtiment, plomberie et modélisation énergétique. (Firme d’architecture : CollinsWoerman)

Ainsi, il est possible de transformer des bâtiments existants en bâtiments carboneutres. Le marché de la rénovation énergétique est immense. Quel est le point de bascule pour une plus grande pénétration du marché?

Antonino : Tout le monde est d’accord lorsqu’il y a un rendement du capital investi (RCI). Le RCI unifie toutes les parties prenantes. Il n’y a rien de mal à procéder à une rénovation énergétique majeure. Elle peut être justifiée financièrement grâce aux économies d’énergie réalisées et au renouvellement opportun d’équipement. L’approche varie selon la situation du marché énergétique local.

Par exemple, dans les marchés où l’électricité est chère, l’approche reposera sur la réduction de la consommation d’électricité afin d’obtenir une période de récupération de l’investissement courte. Là où le gaz naturel est plus cher que l’électricité, il faut se concentrer sur les mesures qui réduisent la consommation de gaz naturel, comme les thermopompes, celles-ci devenant plus attrayantes.

Dans les projets de rénovation énergétique, on analyse chaque domaine de consommation d’énergie. Il faut vérifier chaque utilisation finale de l’énergie et trouver des moyens de réduire la consommation. En général, les entreprises de services écoénergétiques qui analysent un bâtiment proposent des solutions pour obtenir un rendement du capital investi grâce aux économies d’énergie et au renouvellement d’équipement. Mais certains clients préfèrent suivre la méthode traditionnelle et payer eux-mêmes leurs rénovations énergétiques, ce qui est moins cher à long terme.

Beth : Les nouveaux engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et les nouvelles exigences en matière de déclaration des émissions stimulent également la demande pour des projets d’amélioration de l’efficacité énergétique ou de rénovations majeures dans le monde des affaires. Les grandes entreprises qui adoptent des engagements ESG doivent souvent évaluer leur parc immobilier existant et rendre compte des progrès réalisés en matière de réduction des émissions. Ainsi, lorsque les actionnaires portent une attention particulière aux émissions, les rénovations majeures offrent un rendement du capital investi supplémentaire. Et elles sont bénéfiques pour l’acceptabilité sociale.

De plus, le rendement du capital investi est assujetti aux taxes sur le carbone. Pour le client, les retombées des rénovations majeures ou de la conception d’un bâtiment à haute performance dépassent les coûts et les économies d’énergie : elles comprennent aussi la réduction des émissions de gaz à effet de serre et des taxes sur le carbone. Les motivations pour documenter et favoriser les rénovations majeures sont en train de changer. Les propriétaires de bâtiments peuvent éviter cette future taxe sur le carbone en investissant dès aujourd’hui dans leurs actifs.

Pouvez-vous nous en dire plus sur certains autres éléments des rénovations énergétiques majeures?

Beth : Dans le cas des bâtiments plus anciens, les solutions de rénovation énergétique faciles à mettre en œuvre comprennent généralement le remplacement de l’éclairage (par des DEL), de la toiture, des fenêtres ou des matériaux isolants. Auparavant, il était difficile de justifier une rénovation majeure, qu’il soit question d’éléments structuraux destinés à soutenir les installations photovoltaïques sur un toit ou d’investissements dans l’isolation des murs extérieurs. Ces modifications plus invasives nécessitent une réflexion et une coordination approfondies. Mais une fois que ces importants investissements sont réalisés, des effets positifs en chaîne en découlent. Par exemple, en améliorant l’isolation des murs, il est possible de réduire la taille de la chaudière ou du système de climatisation. Le moment choisi pour réaliser un projet est crucial pour tirer parti des dépenses en capital prévues, entre autres dans le cas des grands projets d’entretien préventif ou de remplacement de systèmes.

Il faut songer à réserver les carburants à forte teneur en carbone pour les industries qui en ont vraiment besoin et à utiliser des solutions de rechange lorsque c’est possible.

Antonino : Les rénovations énergétiques majeures constituent la première étape, la pierre angulaire de la décarbonation. Les États-Unis doivent réduire leur consommation d’énergie, et les bâtiments en consomment beaucoup. Mais le pays doit également convertir son approvisionnement énergétique et utiliser de l’énergie propre, dont la quantité est limitée à l’heure actuelle. Les États-Unis ne seront pas en mesure d’électrifier complètement les transports et les industries avec ce type d’énergie. Ils ne disposent ni de l’offre ni des infrastructures nécessaires. Ils doivent donc envisager d’ajouter des carburants de remplacement à leur palette énergétique afin de réduire leurs émissions.

Beth : Il est relativement facile d’électrifier les bâtiments dans les régions tempérées. Mais dans les régions où la chaleur, l’humidité ou même le froid sont extrêmes, l’électrification complète peut engendrer une demande d’électricité qui dépasse la capacité actuelle des services publics. En outre, cette capacité sert aussi à répondre aux besoins des transports, dont l’électrification est en pleine progression. Il faut songer à réserver les carburants à forte teneur en carbone pour les industries qui en ont vraiment besoin et à utiliser des solutions de rechange lorsque c’est possible. Il existe des options : il peut s’agir d’utiliser des thermopompes pendant la majeure partie de l’année et de n’utiliser le gaz naturel qu’en cas de besoin urgent ou de se servir de l’énergie solaire thermique passive pour réduire la demande en gaz naturel.

Voilà le type de solutions que nous pouvons proposer et mettre en œuvre pour nos clients. Nous devons promouvoir la réduction des émissions de gaz à effet de serre, non seulement du point de vue de la conception, mais aussi pour aider les clients à comprendre que les normes de performance énergétique des bâtiments sont de plus en plus répandues aux États-Unis et au Canada. Les clients doivent savoir que la mise en œuvre de ces solutions aujourd’hui et l’investissement dans un avenir carboneutre par le biais de rénovations majeures et de transitions énergétiques leur permettront d’éviter les dépenses liées aux taxes sur le carbone plus tard.

Devons-nous nous intéresser au carbone intrinsèque?

Beth : Absolument. À l’instar de la réglementation sur l’énergie consommée par les bâtiments et les émissions associées à cette énergie, de nouvelles réglementations commencent à prendre forme en ce qui concerne le carbone intrinsèque. Il s’agit des émissions de gaz à effet de serre associées aux matériaux utilisés pendant toute la durée de vie d’un bâtiment. L’État de Californie a adopté une nouvelle loi concernant ce type d’émissions pour les nouvelles constructions. Cette loi entrera en vigueur d’ici 2025.

En tant que concepteurs, nous élaborons des plans directeurs pour nos clients et leurs installations qui couvrent une période de 75 ans. Dans la mesure du possible, les clients doivent donc privilégier la réutilisation adaptative des bâtiments existants.

The Curve Library and Cultural Centre à Slough en Angleterre. Stantec a fourni des services de conception en génie civil, en mécanique, électricité, plomberie et structure du bâtiment, ainsi qu’en modélisation des données du bâtiment, y compris pour le carbone intrinsèque. (Firmes d’architecture : Slough Urban Renewal, CZWG et BBlur)

Qu’en est-il de la durée de vie du bâtiment? Un tel investissement est plus rentable du point de vue financier et du carbone intrinsèque lorsqu’il s’agit d’un bâtiment avec une durée de vie de 50 ans plutôt que de 30 ans, n’est-ce pas?

Antonino : À la Place du Portage, le bâtiment a déjà environ 50 ans. Nous conservons le bâtiment actuel afin de ne pas avoir à couler du nouveau béton et à ajouter inutilement des matériaux qui comportent du carbone intrinsèque.

Donc, en ce qui concerne le carbone intrinsèque, notre stratégie consiste à rénover le bâtiment et à conserver autant que possible les matériaux, le béton et l’acier. Nous allons refaire la fenestration avec un mur-rideau à triple vitrage pour la rendre plus efficace. La stratégie en matière de carbone intrinsèque consiste à conserver le béton, car il peut durer très longtemps.

Beth : L’American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers (ASHRAE) et l’International Code Council (ICC) élaborent une nouvelle norme de construction (en anglais) pour la comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre sur le cycle de vie complet d’un bâtiment. Cette norme entraînera de nouvelles réglementations en matière de carbone opérationnel et intrinsèque. Elle s’appliquera à l’industrie du bâtiment pour la comptabilisation des émissions. Lorsqu’elle sera adoptée, elle permettra d’effectuer une analyse du cycle de vie complet des bâtiments. Nous serons en mesure de comparer la performance d’un nouveau bâtiment proposé dans un projet de conception à celle du bâtiment existant soumis à un projet de rénovation importante. Cette norme exercera une influence sur l’industrie.

Les promoteurs immobiliers pensent souvent à court terme. Mais si de nouvelles normes de construction sont entérinées, ils ne voudront pas laisser leurs actifs perdre de la valeur. En matière d’adaptation aux changements climatiques, il faut aborder d’emblée la question des risques, pour éviter d’en subir les conséquences. Les bâtiments peuvent subir des dommages, devoir être démolis, réparés ou reconstruits. Cela ajoute du carbone intrinsèque au portefeuille immobilier.

L’industrie codifie la comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre pour les bâtiments. Nous devons donc comparer les émissions de systèmes de dimension appropriée à celles de systèmes structuraux robustes.

Idéalement, il faut adopter une approche globale en matière de conception carboneutre. Il s’agit de trouver un équilibre entre la réduction des émissions et les risques à venir.

Êtes-vous optimiste quant à la possibilité de concevoir un environnement bâti plus durable?

Antonino : Dans un monde idéal, la compagnie d’électricité fournit une énergie propre et abordable, et le propriétaire du bâtiment rend son immeuble écoénergétique. Les États-Unis doivent augmenter l’offre en énergie propre. Le gouvernement pourrait mettre en place des conditions favorables rendant avantageux pour les entreprises de services publics de fournir de l’énergie propre. Par la suite, il incombe aux propriétaires d’immeubles de rénover leurs bâtiments.

Je crois que ce sont des ingénieurs comme nous qui devraient conseiller le gouvernement plutôt que des dirigeants d’entreprise. Nous concevons des solutions tous les jours et nous pouvons dire : « Voici les pistes les plus prometteuses. C’est ainsi que l’on peut y arriver. »

Beth : Je suis très optimiste. C’est une période passionnante pour un ingénieur.

Nous participons à la plus grande transition dans le secteur du bâtiment. Les gouvernements proposent des mesures incitatives pour favoriser le changement, qui lui, est réclamé par les collectivités, poussant les entreprises à se dépasser.

La transition se produit à tous les niveaux et c’est très stimulant. Qu’il s’agisse d’entreprises, de propriétaires de bâtiments, de chefs de file dans les secteurs de l’assurance et de la finance, de gouvernements locaux, d’entreprises de services publics ou de fabricants, la transition est amorcée.

Traduction du blogue publié originalement sur le site Ideas de Stantec.

À propos des auteurs :

Spécialisée en changements climatiques, Beth compte plus de 20 ans d’expérience en conception, mise en service, modélisation, audit et évaluation des bâtiments. Elle concentre actuellement ses efforts sur la décarbonation et sur les transitions énergétiques régionales.

Non seulement passionné par la thermodynamique, Antonino se consacre pleinement à sa carrière dans les services énergétiques.

End of main content
To top